Il a 59 ans, vit dans une petite cabane en tôle à Nouvelle-France. Sa particularité ? Il est un conteur hors pair. Joseph Margéot Raboude est l’un des personnages les plus connus et les plus joyeux du village. Pourtant, il n’est pas du coin, ne mène pas une vie aisée et tous ses proches sont à Rodrigues, son île natale. Comment fait-il donc pour avoir toujours le sourire accroché aux lèvres ? Nous lui avons demandé son secret du bonheur…
«Mais il n’y a pas de secret au bonheur», s’exclame-t-il d’emblée, le sourire toujours présent. Son visage est marqué par les rides trahissant une vie qui n’a pas toujours été simple, sa moustache blanche épouse son sourire et ses yeux, malgré la fatigue, pétillent. Il raconte qu’il vit de petits boulots. À son âge, il sait tout faire. Du jardinage au nettoyage, rien ne lui fait peur. «Lorsqu’un quelqu’un cherche des gens pour une journée ou deux, mes amis font appel à moi. Je ne me plains pas», dit-il. En moyenne, il touche Rs 4 000, et il ne lui en faut pas plus pour vivre bien.
Dans sa petite maison en tôle de deux pièces, pas d’eau courante ni d’électricité, donc pas de factures. Le mobilier est succinct. Deux chaises, une table, une plaque à gaz et des effets personnels éparpillés ici et là. Son lit est dans l’autre pièce, où il fait noir. Un vieux réfrigérateur qu’il a récupéré a été reconverti en armoire. Lorsqu’il pleut, sa maison fuit de partout, mais cela ne l’embête pas. Sauf qu’à deux reprises, sa «ti kabann» – c’est ainsi qu’il a baptisé sa maison – a été inondée à la suite d’averses. Le nettoyage s’est avéré difficile. Et il l’a fait. «Mwa mo kapav resté. Mé pou lézot, li pa pou bon», concède cependant le quinquagénaire.
Vie de solitaire
En ligne avec sa petite vie, Joseph Margéot Raboude mange «bio», lorsqu’il s’agit de légumes. Il n’a qu’à tendre le bras pour avoir quelques «chou chous» et les «brèdes» qui vont avec et, hop, son repas est prêt. Cependant, il ne cuisine pas à l’intérieur de sa maison. Il préfère le faire comme dans le temps, sur un «foyer», juste en dehors de sa «ti kabann».
Une question persiste. Comment a-t-il atterri à Nouvelle-France ? Joseph Margéot Raboude se revêt de son costume de conteur et se met à raconter. En 1997, il est venu à Maurice pour la première fois afin de visiter sa soeur. «Lerla mo’nn trouvé Moris adapté ar mwa. Mo’nn resté», dit-il. Son ex-femme, de qui il s’est séparé après 32 ans de vie commune, vient à Maurice pour lui rendre visite de temps en temps. «Mo dé zanfan osi abitié vini.» Visiblement, leur absence ne le gêne pas plus. Car ses voisins veillent sur lui et rompent sa solitude de temps en temps, quand le besoin de compagnie se fait sentir.
Mais ce qu’il préfère, c’est lorsque les enfants du village se réunissent autour de la petite table dans sa maison pour écouter les contes de «Tonton Rodriguais». Certains sont des contes folkloriques qui sont en voie de disparition, d’autres des classiques… Puis, il y a aussi des histoires qui sont issues de son imagination. À la fin de chaque séance, les enfants repartent tous avec une friandise. Et à cette règle, il ne déroge pas, peu importe l’état de son porte-monnaie.
Toutefois, malgré sa joie permanente, les réalités de l’âge le rattrapent souvent. Sa santé n’est plus ce qu’elle était à sa prime jeunesse. «Kouma mo mars inpé, mo bizin asizé. Mo lipié fermal», se plaint-il. Mais point de signe de douleur pour obscurcir son sourire. Même aux vertiges épisodiques dont il souffre, il ne prête pas plus attention.
Et si de temps en temps, Joseph Margéot Raboude reçoit la visite de sa nièce, pas question pour lui d’accéder à la demande de cette dernière. Soit de déménager dans un lieu plus confortable. «Tonton Rodriguais» tient trop à sa «ti kabann» pour la quitter et s’en aller…